Lettre à un(e) jeune adulte en fin de session

Cher(ère) étudiant(e) stressé(e),

Mi-décembre te rentre dedans. Ton échéancier est aussi rempli que ta tasse de café frette. Ton humeur, elle, balance entre l’enthousiasme de faire cuire un jambon des Fêtes dans trois jours et le découragement d’avoir à produire un autre travail final quand tout c’que t’as pour l’instant c’est ta page-titre en Calibri 11. D’un côté, t’aimerais repousser ton étude à TOUT JAMAIS. De l’autre, tu te sens coupable quand tu regardes un autre épisode de série sur Netflix en bouffant des craquelins aux trois fromages shapés en forme de flocons. Mettons que c’est power plus attrayant que tes lectures soporifiques sur l’unification allemande par Otto Von Bismarck. Bref, tu brasses des grosses affaires. Pis t’as d’la pression.

J’comprends tout ça. Y’a pas si longtemps, moi aussi j’étais sur les bancs d’école en train d’écrire des intros en Times New Roman 12, pis d’me rappeler qu’une bonne intro est composée d’un sujet amené, d’un sujet posé, pis d’un sujet divisé. Une belle formule qui te sert à sweet fuck all une fois rendu(e) sur le marché du travail. Genre, t’auras pas à faire un travail de 35 pages sur la guerre franco-prussienne pour ta boss dans l’agence de pub dans laquelle tu viens d’être engagé(e). La métho se veut un outil. La rigueur dans l’exécution, oui. Toutes les marges à 3,25, non.

Tout récemment, j’ai été engagée dans une maison d’édition de magazines. À quelque part, j’ai «accompli» quelque chose. T’as remarqué les guillemets? Ouais. Ils sont là pour une raison. Oui, je suis rendue ailleurs. Je suis sur le marché du travail, dans un domaine que j’aime. Aux yeux de ben du monde, j’ai «réussi» ma vie. J’ai eu mon lot de fins de session, moi aussi. Mais en te voyant surligner dans tes cahiers comme si la vie de tes enfants en dépendait, cher(ère) étudiant(e) stressé(e), je remets en question la définition de «réussite». À mon sens, la réussite est ce que l’on entend pour soi, et non pas de ce les autres peuvent bien penser de toi parce que «t’es rendu(e) là dans ‘vie».

J’t’envie, jeune adulte en fin de session, parce que t’as l’avantage d’obtenir une période d’introspection, deux fois par année. T’as l’avantage de pouvoir te poser des questions, de vivre un peu avec toi-même par le biais de tes cahiers pendant quelques jours. Avec ton rythme de vie effréné, c’est enfin le temps de se poser les bonnes questions. Aimes-tu (toujours) ce que tu fais? Oui? Continue. Non? Ajuste-toi, peu importe ce que ça implique. Parce qu’au fond, tout ce qui importe, c’est de te connaître, toi. C’est pareil comme en amour. Faut que t’apprennes à te connaître avant d’apprendre à connaître quelqu’un d’autre. Ce qui te branche, ce qui t’exaspère. Prendre le temps qu’il faut. Vivre, un peu.

Dans notre société de performance, ce qui m’enrage, c’est l’hypocrisie liée aux exigences. C’est cool, de mon côté, ça fittait avec mes attentes personnelles. Mais ce qui me dérange, c’est que c’est pas le cas pour tout le monde, pis tout le temps. Pis que quand tu dérives un peu du moule, du «parcours typique», t’es bizarre. T’es poche. Dans notre société qui s’affirme évolutive, j’pas sûre que l’objectif est réellement atteint. L’évolution, ça passe d’abord par les individus. Ta recette sera pas bonne si tes ingrédients sont passés date.

À part de t’ça, ça sert à rien de prévoir toute d’avance. J’le sais pas, si j’vais retourner aux études. Peut-être. J’le sais pas, si mes intérêts vont changer en temps et lieu. Peut-être. Mais j’me laisse une chance, une chance d’évoluer dans ce que j’aime. Pis toi aussi tu devrais te donner une chance, cher(ère) étudiant(e) stressé(e). Quand tu penses que tu y arriveras pas, que t’en as trop, sois capable de souffler, de vivre ta fin de session à ton rythme. Au final, ton avenir, c’est ben juste de tes affaires.

J’t’envie aussi, jeune adulte en fin de session, parce que t’as encore ce sentiment d’accomplissement quand tu termines une longue période d’étude. Un sentiment d’avoir appris quelque chose. Pis ça devrait paraître quand tu expliques à tes colocs quels sont les enjeux sociaux de la télévision, après avoir passé 18 heures sur le même document Word. Cette fierté-là, on dirait qu’elle ne s’égale pas ailleurs.

La prochaine fois que tu capotes parce que t’as une trop grande charge de travail sur tes épaules, souviens-toi que l’important, c’est pas si t’as plus de 75% dans ton examen sur les grands courants littéraires. L’important, c’est de savoir si t’es bien dans ce que tu fais. Pis si c’est de travailler au salaire minimum, mais que ça te motive pis que t’es content(e) de te lever le matin, ben so be it. Mais il faut avoir eu le temps de se poser la question, et surtout, avoir pris le temps de se la poser. Au final, t’étudies pour toi. Pas pour ton prof avec une coupe de cheveux louche. Pas pour tes parents. Pas pour ton image. Tu le fais pour toi, pour ta passion, pis pour ta petite voix qui sommeille parfois en toi.

Lâche pas. T’es bon(ne).

Signé une fille dans la vingtaine qui t’comprend.

Crédit photo: Laurence Lemieux

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Audrey-Maude Falardeau

Audrey-Maude aime rire, sourire, se marrer, mais surtout abuser des synonymes. Quand elle n'est pas en train de penser au sens de la vie, elle se pratique à faire des clins d'oeil avec l'oeil droit (pas facile, pas facile). Passionnée de culture, d'humour et d'improvisation, Audrey-Maude est toujours front row à n'importe quel spectacle (en train de rire trop fort).

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